Pour une Université régénérée...
Parmi les 12 engagements du Mouvement démocrate pour l’Europe, 2 sont consacrés à la recherche :
6-Le savoir et la connaissance priorités de l’Europe :
Nous proposons un doublement progressif du budget européen pour la recherche et, en liaison avec les Etats membres de l’Union, une aide efficace au dépôt de brevets.
7 - Pour que l’Europe agisse dans des domaines aussi importants que la recherche, il lui faut des moyens réels
Nous proposons un budget européen dont le volume serait décidé par le parlement européen et alimenté par un impôt unique sur l’ensemble des pays de l’Union, par exemple un prélèvement sur les transactions bancaires et boursières.
S’il n’est évidemment pas niable de s’octroyer des moyens en vue d’améliorer la recherche européenne, on doit également dans le même temps, questionner le sens de la principale matrice de chercheurs, à savoir l’Université.
Or le tabou est si fort que dès que l’on parle de changement à et pour l’Université, une levée de boucliers brouille immédiatement le paysage, en transformant toute interrogation de fond en corps-à-corps.
Alors qu’il ne s’agit pas seulement d’un problème d’évaluation ou de défenses corporatistes. Des gens qui font bien leur travail, il y en a partout, y compris à l’Université, et ce serait stupidement réducteur de vouloir croire que puisque le problème est là, il peut donc être résolu ainsi.
Car il ne s’agit pas seulement non plus de développer la recherche, il faut aussi refonder la recherche.
La vraie question ne se pose donc pas, me semble-t-il, à partir des hommes ou des méthodes, mais sous une double forme interrogeant le système : l’Université veut-elle transformer la société ? et l’Université est-elle transformée par la société ?
A la première question, je répondrai volontiers par une autre : est-il possible aujourd’hui à un chercheur d’avoir un discours décalé, un objet de recherche, une méthode, hors des cadres définis –en gros- par l’Académie des sciences ?
On pourrait rétorquer que ces cadres étroits sont une garantie de la rigueur de pensée, héritée du siècle des Lumières et bien propre à tout fondement d’une construction cognitive...Hélas, le système oppose tant de contre-exemples (enseignant remplacé au dernier moment dans un jury, jurés de thèse n’ayant jamais communiqué entre eux, luttes fratricides entre des structures ou des hommes d’obédience différente) comme autant de dysfonctionnements devenant la règle de fonctionnement. Sans parler de son engloutissement dans la complication administrative tuant peu à peu le sens, tous éléments ayant transformé peu à peu la rigueur en rigidité.
Nous connaissons tous des Doctorants. Pouvons-nous affirmer en toute honnêteté, qu’ils veuillent vouer leur vie à la passion de la recherche ? Ils sont plutôt à la recherche d’un poste leur fournissant sécurité et emploi. Loin de moi l’idée de les en blâmer, ils doivent juste en passer par là pour avoir le droit d’enseigner, dont ils veulent faire métier. Où le système les biaise, en les enfermant dans un paradoxe fou, c’est qu’il leur demande officiellement de faire de la recherche (le terme sous-entend qu’on devrait inventer un tant soit peu) en les contraignant à reproduire toujours du même.
Ainsi, alors que l’Université a longtemps refusé l’idée de former à des métiers, le seul qu’elle revendique : l’enseignement de l’enseignement, se tarit aussi pour le plus grand nombre de postulants. Que voudra bientôt dire « enseignant –chercheur » dans ce contexte ?
Et que dire du désintérêt de l’Université pour la formation continue, alors que tous les pays d’Europe affichent la nécessité de se former « tout au long de la vie » ? Car pour elle, il s’agit toujours de se former à l’intérieur du moule de formation initiale pour étudiants, des étudiants très disponibles tout au long de la semaine. Le long blocage français de la Validation des acquis est une illustration de ce refus défensif de changer, non pas de cap, mais d’accoutumance.
Qui n’a déploré de ne pouvoir travailler dans une bibliothèque universitaire ou autre infrastructure, parce qu’elle était fermée durant les vacances scolaires ? L’acquisition du savoir – qui est appropriation et processus si l’on se souvient bien de Piaget- se fait-elle en nous, selon ou grâce au rythme obligé des vacances scolaires ?
Les Ministres passent, les vacances scolaires découpant la vie –et le savoir- en tranches étanches restent. Non qu’il s’agisse ici de nier le repos, ou la stagnation propice à l’assimilation cognitive. Mais refusons « l’administrativation du savoir » qui a empoisonné le goût d’apprendre et l’a transformé pour tant d’étudiants en angoisse du lendemain.
Le savoir requiert de la liberté, la recherche requiert de la créativité. Ce sont ces biens précieux qu’il faut semer –retrouver- avec les moyens supplémentaires qui pourraient être alloués par l’Europe. Sous peine de ne fabriquer que du fonctionnariat, car attribuer des moyens sans convoquer le sens ne peut qu’alimenter le système à l’identique.
Pourtant si l’Université se transforme, alors elle transformera la société.
A ma deuxième question : l’Université est-elle transformée par la société, je dirai que tant qu’elle reste dans la position d’observateur du système qu’elle s’est donnée dans la recherche, elle « rend compte » d’expérimentations, mais ne peut en être réorganisée.
Par sa position principale d’observateur, elle s’enferme dans une vision positiviste qui la place au-dessus de la société qu’elle observe, ignorant par là, à de rares exceptions près, la réforme de la pensée scientifique que la cybernétique de second ordre de von Foerster a drainée en incluant l’observateur dans le processus d’observation.
L’Université fait comme si elle pouvait seulement méta-communiquer sans que le fonctionnement social- à travers les savoirs- ne vienne réorganiser cette communication.
Elle peint un tableau de l’école réaliste qui veut dépeindre la réalité et rien d’autre. Sauf qu’une réalité sans réorganisation dynamique se fige dans le passé.
Le problème ne réside donc pas dans un ou deux facteurs isolés, fussent-ils pécuniaires, mais en redonnant vie au système, en lui injectant les multiples interactions complexes qu’il entretient avec la société et le contexte mondial profondément transformés, mais aussi transformateurs.
Nous n’avons plus la meilleure université du monde et il faut l’accepter pour pouvoir la rendre transformée/transformatrice.
Mais, nous avons peut-être l’intelligence nécessaire dans ce système-là pour repenser le système.
Mais, nous avons peut-être dans ce système-là les ressources de nous confronter à une dimension européenne des savoirs, pour changer l’échelle qui nous permettrait d’entrer enfin dans le XXIème siècle.
Mais, nous avons peut-être la force et la volonté dans ce système-là de nous métamorphoser en une vraie société des savoirs.
Non pas une Europe bâtie autour des contenus de savoirs, mais autour d’un vrai savoir des contenus. C’est-à-dire une Europe capable d’une méta-analyse des outils nécessaires à son adaptation au monde qui change. Cette complexification s’énonce pourtant en une question simple : « un système de recherche européen, pour quoi faire ? ».
Question du sens qui obtiendrait peut-être d’autres réponses que des débats fonctionnarisés.
Oui, l’Université et sa recherche peuvent être régénérées par la transformation de la société.
A condition de sortir de la captation des savoirs et de la production du même.
Evelyne Biausser